dimanche 30 novembre 2014

The Global Entrepreneurship Summit 2014: Are Moroccan Scholars Non Existent or Simply Ignored?

Out of curiosity, I have reviewed the entire list of 'speakers' (http://www.gesmarrakech2014.org/en/program/speakers) in the Global Entrepreneurship Summit held in Marrakech last week and did not see a single Moroccan academic, working in the broad fields of economics or science and technology. Only the participation of an American professor working at Al Akhawayn University saves the day and can be considered as a local contribution.
The finding is distressing and suggests two hypotheses. The first, that would be downright depressing, is that local researchers would have absolutely nothing to say about entrepreneurship in the country that hosted a World Summit on the phenomenon. In addition, if local academics have nothing to say on entrepreneurship, would this mean that it is not part of their teaching either? If this is the case, it is urgent to launch a major national initiative to introduce entrepreneurship in the heart of the Moroccan system of higher education and research.
As I know a few Moroccan colleagues who are doing their best with little means to introduce entrepreneurship in their institution of higher education, I know that the first assumption is not entirely true. There are a few entrepreneurial pockets in the Moroccan higher education, particularly in elite public and private schools. Political leaders in charge of higher education should make an objective assessment of these initiatives and build on them to spread the entrepreneurial culture in the national higher education and research system.
Knowing that the first Moroccan university appears at the 30th place only in the Arab world, as ranked by US News and Report, entrepreneurship could be an easier and cheaper leverage than basic research to improve the standing of Moroccan universities in the region.
The second hypothesis is that GES organizers did not bother to look for contributors in Moroccan academia. If there is an ounce of truth to this assumption, they would have done a disservice to their country by suggesting to participants, Americans and others, that the entrepreneurship is entirely foreign to Moroccan higher education and research.
Not living there to be able to say, with a bit more certainty, which hypothesis is true, I suspect that there would be some truth in both.
A society that does not like or trust its own intellectuals is set to always look for thought masters elsewhere.

Le GES 2014: les chercheurs marocains inéxistants ou ignorés?

Par curiosité, j'ai passé en revue l'ensemble de la liste des 'speakers' (http://www.gesmarrakech2014.org/en/program/speakers) au GES tenu à Marrakech la semaine dernière et n'y ai pas vu un seul représentant de la recherche marocaine dans le champ des sciences économique ou bien dans les sciences dures et les technologies. Seule la participation d'un professeur américain travaillant à l'Université Al Akhawayn permet de dire qu'il y a eu une contribution locale.
Le constat est désolant et induit deux hypothèses. La première qui serait franchement déprimante est que les chercheurs locaux n'auraient absolument rien à dire sur l'entrepreneuriat dans le pays qui organise un grand sommet mondial sur le phénomène. En outre, si les universitaires locaux n'ont rien à dire sur l'entrepreneuriat, faudrait-il en déduire qu'il ne fait pas non plus de leurs activités de formation? Si tel est le cas, il est urgent de lancer une grande initiative nationale pour introduire l'entrepreneuriat au coeur du système marocain d'enseignement supérieur et de recherche.
Comme je connais quelques collègues marocains qui font de leur mieux avec peu de moyens pour introduire l'entrepreneuriat dans leur établissement d'enseignement supérieur, je sais que la première hypothèse n'est pas tout à fait vraie. Il existe quelques poches entrepreneuriales dans l'enseignement supérieur marocain, notamment dans de grandes écoles publiques et privées. Il conviendrait de faire un bilan objectif de ces initiatives et d'examiner comment les autorités de tutelle pourraient prendre appui sur elles pour diffuser la culture entrepreneuriale dans le système d'enseignement supérieur et de recherche.
Sachant que la première université marocaine apparaît au 30ème rang seulement dans le monde arabe, selon le classement du US News and Report, l'entrepreneuriat pourrait constituer un levier plus facile et moins coûteux que la recherche fondamentale pour améliorer cette position.
La deuxième hypothèse serait que les organisateurs du GES ne se sont pas donné la peine de chercher des contributeurs dans le système universitaire marocain. Si cette hypothèse avait une once de vérité, ils auraient rendu un bien mauvais service à leur pays en laissant penser aux participants, américains et autres, au GES que la thématique entrepreneuriale est entièrement étrangère à l'enseignement supérieur et à la recherche marocains.
Ne vivant pas sur place pour pouvoir dire, avec un peu plus de certitude, laquelle des deux hypothèses est vraie, je soupçonne qu'il y aurait un peu de vérité dans les deux.
Un peuple qui n'aime pas ou qui n'a pas confiance dans ses intellectuels est condamné à toujours chercher ses maîtres à penser ailleurs.

De l’entrepreneuriat social à l’entrepreneuriat responsable

Cette tribune prolonge, approfondit et partage une discussion avec mes collègues oeuvrant à la promotion de l’entrepreneuriat social. Je leur dis, depuis longtemps déjà, que je ne suis pas à l’aise avec l’appropriation du label ‘social’ par un mouvement dont les réalisations et la médiatisation ont fini par installer l’idée qu’il y aurait les bons samaritains, les entrepreneurs sociaux, et les méchants capitalistes, les entrepreneurs à but lucratif.
Parce que les idées orientent non seulement les discours mais aussi les comportements et décisions des acteurs publics et privés, il est nécessaire d’effectuer un travail idéologique pour remettre les pendules à l’heure et proposer une formulation plus fidèle à la réalité de l’entrepreneuriat au 21ème siècle.
L’appropriation du label ‘social’ par les promoteurs d’une partie du phénomène entrepreneurial sous-tend que l’entrepreneuriat à but lucratif serait asocial, au minimum, ou carrément anti-social. Je pense que l’entrepreneuriat à but lucratif ne peut être ni l’un ni l’autre.
L’entrepreneuriat n’est pas asocial et ne peut pas être anti-social
L’entrepreneuriat à but lucratif ne peut pas être asocial comme on pourrait être agnostique ou apolitique. L’entrepreneur hors sol n’existe pas. L’entrepreneur vit et opère dans un contexte social. Ses actes sont influencés par le milieu social ambiant et l’impactent en retour. Ne dit-on pas souvent que les grands bâtisseurs d’entreprises se sont trouvés au bon moment et au bon endroit. Sans diminuer en rien la valeur des individus, les grands entrepreneurs, comme les grands personnages historiques, se sont trouvés en phase avec leur milieu et époque. Réserver le label ‘social’ à une partie du phénomène entrepreneurial n’a pas de sens. Tout entrepreneuriat est social parce qu’il constitue un ‘fait social’ au sens durkheimien.
L’entrepreneuriat à but lucratif ne peut pas être anti-social. Je n’aurais pas pu avancer cette affirmation avec force si j’écrivais au 19ème ou durant la première moitié du 20ème siècle. Je n’aurais pas pu non plus le faire si j’écrivais depuis un pays dominé par la forme primitive du capitalisme.
Dans les pays avancés où le développement de la démocratie, de la société civile, des médias et de l’opinion publique, les entrepreneurs sont soumis à un contrôle légal et social fort et ne peuvent pas, plus, se permettre de jouer contre la société. La légitimité de la quête du profit est désormais conditionnée au respect des gens et de la nature. Autrement dit, si le droit de rechercher le profit n’est pas remis en cause, la manière dont l’entrepreneur le réalise fait l’objet d’un contrôle social de plus en plus normatif, au point que certains le trouvent, parfois non sans raison, excessif.
Même si ceci est contesté par une partie des historiens, j’adhère à la thèse du développement inéluctable de l’éducation, de la démocratie et de la société civile. Aussi, je pense que les entrepreneurs opérant dans des pays où cette évolution n’est pas encore accomplie seront comptables des externalités négatives, sociales et environnementales, et ne pourront pas continuer à mal traiter les gens et la nature.
L’entrepreneuriat dit social ne l’est pas toujours
Ayant, il faut espérer, montré pourquoi l’entrepreneuriat est forcément social, il convient de tenter une déconstruction de l’entrepreneuriat dit social. La caractéristique distinctive revendiquée par les promoteurs de cette forme d’action est de placer la finalité sociale au centre d’une entreprise. Lorsqu’un projet a une dimension marchande, la logique voudrait la soumettre à la finalité sociale. Les entrepreneurs sociaux étant des êtres humains, cette noble soumission de l’économique au social s’avère moins noble dans certaines pratiques.
Les entrepreneurs sociaux sont des êtres humains et les organisations qu'ils mettent en place pour servir une cause noble, si elles ne sont pas étroitement contrôlées, peuvent se retourner contre la mission. Par exemple, la distribution agressive de micro crédit par des agents complaisants a aggravé les difficultés de beaucoup de famiiles pauvres. En 2010 seulement, le gouvernement de l'Andhra Pradesh a recensé 80 suicides parmi les 'bénéficiaires' de micro crédit ( plus détails à: http://www.bbc.com/news/world-south-asia-11997571). L'Inde a vu l'introduction en bourse d'entreprises de micro crédit au motif, cynique, que ceci faciliterait l'accès à plus de fonds pour sortir plus de familles de la misère. Le micro crédit est également controversé au Bengladesh, où il a été inventé par Mohammad Yunus, et au Maroc.
Parce que l’exemple du micro crédit est facile, il faut trouver d’autres illustrations des dérives de l’entrepreneuriat social. J’ai eu à connaître récemment du projet d’un jeune entrepreneur qui assume sans complexe que le projet qu’il présente comme social est en fait une entreprise à but lucratif reposant sur un alibi (le mot est de moi) social.
L’entrepreneuriat dit social le devient moins lorsqu’il se transforme en profession, voire en fonds de commerce. Lorsque les revenus ou bien seulement l’identité sociale d’une personne ou d’un groupe repose sur une entreprise sociale, la pérennisation de cette entreprise devient généralement sa propre fin. La sociologie des organisations a bien éclairé le processus d’institutionnalisation qui transforme un moyen, une organisation destinée à traiter un problème social, en fin de son propre fonctionnement. Lorsque le revenu, le pouvoir, le salut, le sens de la vie ou l’identité d’un entrepreneur social passe par le service des pauvres, des malades ou des opprimés, l’existence de ces populations devient nécessaire à la continuité des organisations censées leur venir en aide.
Les grandes réussites en entrepreneuriat social se traduisent par la mise en place d’organisations, parfois de très grande taille. Dès lors, ces organisations sont obligatoirement traversées par les phénomènes classiques documentés par la sociologie des organisations : luttes pour le pouvoir, conflits sur l’allocation des ressources, perte de vue de la mission première de l’organisation, émergence de silos, soumission des bénévoles aux technocrates, etc.
Dépasser la dichotomie : l’entrepreneuriat responsable
Puisque l’entrepreneuriat à but lucratif est forcément social et que l’entrepreneuriat social n’est pas toujours aussi social, il faut chercher la ligne de clivage ailleurs que dans le label social. De mon point de vue, la bonne distinction est à établir entre des formes responsables et irresponsables d’entrepreneuriat. Parce qu’il est plus facile de définir la forme négative, l’entrepreneuriat irresponsable est celui qui met, de facto, les intérêts égoïstes de l’entrepreneur au cœur d’un projet et qui cherche à atteindre des buts, serait-ce le salut de l’âme, en faisant supporter des externalités négatives, non consenties, aux gens et ou à l’environnement.
Par contraste, l’entrepreneuriat responsable, à but premier lucratif ou non, commence par reconnaître à l’entrepreneur le droit de poursuivre ses propres objectifs et lui fait obligation de le faire dans le respect des gens et ou de l’environnement. L’entrepreneur responsable idéal ne produit pas d’externalités négatives. L’entrepreneur réel peut produire des externalités négatives et doit les prendre en charge : nettoyer quand on pollue, développer l’employabilité quand on ne veut pas promettre l’emploi à vie, compenser la pénibilité du travail quand on ne peut pas l’éviter, etc.
Mettre l’accent sur la responsabilité a un autre avantage. Elle contribue au développement du paradigme de la responsabilité dans le monde de l’entreprise. On parle de leadership responsable, de gouvernance responsable et d’investissement responsable. Ces concepts portent sur la conduite d’organisations existantes dont la création requiert des entrepreneurs responsables.

From social to responsible entrepreneurship

This essay extends, develops and shares a discussion with my colleagues involved in the promotion of social entrepreneurship. I have been saying for a long time that I'm not comfortable with the appropriation of the label 'social' by a movement whose achievements and extensive media coverage ended up installing the idea that there would be good Samaritans , social entrepreneurs, and bad capitalists, for-profit entrepreneurs .
Because ideas guide not only speech but also the behavior and decisions of public and private actors, it is necessary to do some ideological work to put the record straight and provide a more accurate framing of the reality of entrepreneurship in the 21st century.
The appropriation of the 'social' label by proponents of a portion of the entrepreneurial phenomenon suggest, at a subconscious level, that for-profit entrepreneurship would be asocial, at a minimum, even anti-social. I hope to convince the reader that for-profit entrepreneurship can be neither one nor the other.
Entrepreneurship is not asocial and cannot be anti-social
For-profit entrepreneurship cannot be asocial as one might be agnostic or apolitical. Entrepreneurs do not act in a social vacuum. They live and work in a social context. An entrepreneur’s actions are influenced by the surrounding social environment and impact it in return. Do not we often say that the great business builders found themselves at the right time and the right place? Without in any way diminishing the value of individuals, ‘great’ entrepreneurs, like ‘great’ politicians or generals, found themselves in tune with their environment in particular circumstances. Reserving the label 'social' to a part of the entrepreneurial phenomenon does not make sense. All entrepreneurship is social because it is a 'social fact' in the Durkheimian sense.
For-profit entrepreneurship cannot be anti-social either. I would not have advanced this assertion forcefully if I wrote in the 19th or in the first half of the 20th century. I would not be able to do so if I wrote from a country dominated by the primitive form of capitalism.
In advanced countries where the development of democracy, civil society, media and the public, entrepreneurs are subject to legal and social controls. They cannot afford to play against society. The legitimacy of the pursuit of profit is now subject to respect for people and nature. In other words, if the right to pursue profit is not challenged, how the entrepreneur realizes the profit is subject to increasingly normative social control, to the point that some entrepreneurs find it, sometimes not without reason, too excessive.
Even though this is disputed by some historians, I agree with the thesis of the inevitable development of education, democracy and civil society. Thus, I think that entrepreneurs operating in countries where this evolution is not yet completed will be accountable for negative social and environmental externalities, and will not be able to continue to treat people and nature badly.
Social entrepreneurship is not always what it seems
Having argued that entrepreneurship cannot be asocial or anti-social, I would like to attempt a deconstruction of social entrepreneurship. The distinguishing feature claimed by proponents of this form is to place the social purpose at the center of a company. When a project has a commercial dimension, the economic logic is presumably submitted to the social mission. Social entrepreneurs are human beings, however, and the organizations the set up to serve the mission, if not tightly managed, can end up playing against it. For example, the aggressive distribution of micro credit by complacent field officers has aggravated the hardship of the poor. In 2010 alone, the government of Andhra Pradesh, the Indian state home to one third of micro credit borrowers in India, counted 80 suicides among over indebted borrowers (for more details http://www.bbc.com/news/world-south-asia-11997571). India also witnessed the public listing of micro credit companies on the cynical ground that the stock exchange would provide easier access to more funds to lift more families out of poverty. In Bangladesh, where Mohammad Yunus pioneered it, and in Morocco, micro credit has also been controversial.
Because the dark side of micro credit is an easy illustration, we have to find other illustrations of drift in social entrepreneurship. I was exposed recently to a young entrepreneur who claimed openly that his venture is for-profit business although it is based on a social alibi (the word alibi is mine).
Social entrepreneurship is less so when it is transformed into a profession or a business. Where the income or social identity of a person, or of a group, is based on a social enterprise, sustainability of this business usually becomes its own end. The sociology of organizations has extensively documented the institutionalization process that transforms a means, an organization se up to treat a social problem, into their own ends. When income, power, salvation, the meaning of life or the identity of a social entrepreneur are sought through service to the poor, the sick and the oppressed, the existence of these populations is necessary to ensure continuity of the organizations supposed to help them.
Great achievements in social entrepreneurship result in the establishment of organizations, sometimes very large. Therefore, these organizations are necessarily traversed by conventional phenomena also documented by the sociology of organizations: power struggles, conflicts over resource allocation, loss of sight of the primary mission of the organization, emergence of silos, submission of volunteers to technocrats, etc.
Beyond the dichotomy: responsible entrepreneurship
Since for-profit entrepreneurship is necessarily social and social entrepreneurship is not always so social, we should look for a label other than ‘social’ to help us sort the good from the ugly. From my point of view, a more valid distinction must be made between responsible and irresponsible forms of entrepreneurship. Because it is easier to define negatively, irresponsible entrepreneurship is one that puts, de facto, the selfish interests of the entrepreneur at the heart of a project and seeks to achieve goals, be it the salvation of the soul, by generating negative externalities for people or the planet.
By contrast, responsible entrepreneurship, for-profit or not, begins by recognizing to the entrepreneur the right to pursue own objectives and compels him to do so in respect of people and the environment. The ideal responsible ideal entrepreneur does no harm and does not produce negative externalities. The real entrepreneur can produce negative externalities but must be held accountable for them: they clean when they pollute, they develop employability when they do not want to promise lifetime employment, they offset the drudgery of work when they cannot avoid it, etc.
Emphasizing responsibility has another advantage. It contributes to the development of the paradigm of responsibility in the business world. We talk about responsible leadership, responsible governance, responsible employment, and responsible investment. These concepts relate to the conduct of existing organizations whose creation requires responsible entrepreneurs. I hope we have come full circle.

Que faire du Centre Marocain de l'Innovation?

Je me suis exprimé, il y a quelques jours, sur le CMI après lecture du témoignage à charge de M. Mohamed Attahri (http://fr.wamda.com/2014/11/retour-d-experience-le-cmi-ce-cancer). J'ai dit à quel point le fonctionnement du CMI évoque le château de Kafka.
J'ai, ensuite, lu l'entretien accordé au site wamda par M. Samir El Aichaoui, directeur général du CMI (http://fr.wamda.com/2014/11/samir-el-elaoui-reponse-cmi) et souhaite m'exprimer un peu plus longuement, avec la nuance qui convient, sur cet élément du dispositif marocain de soutien à l'innovation.
Je dois annoncer d'emblée que cette contribution n'est sollicitée ou approuvée par aucune autorité. Elle exprime une opinion libre avec les avantages et les inconvénients d'une position distanciée par rapport à l'objet. Pour être tout à fait clair, je n'ai pas l'intention, ni les moyens, de trancher la controverse opposant, sur la place publique, le CMI à quelques (plusieurs?) entrepreneurs.
Mon propos, plus modeste, est d'alerter contre la tentation, que je sais difficile à éviter, de faire le procès des acteurs alors que le problème est dans le système. Si les relations entre des entrepreneurs et le CMI sont tendues, ce n'est pas parce que les premiers seraient 'bons' et les collaborateurs du CMI seraient 'méchants'.
La thèse que je défendrai dans les lignes qui suivent est que les acteurs, de part et d'autres, sont victimes d'un vice de conception du système de soutien à l'innovation. Très franchement, si je travaillais au CMI, je me sentirais moi aussi frustré de ne pas pouvoir aider les entrepreneurs comme il faudrait.
Avant d'aller plus loin dans le développement, je tiens à saluer M. Samir El Aichaoui pour avoir accepté (provoqué?) une expression publique sur les reproches faits à l'organisme dont il a la charge. La bonne gouvernance suppose la possibilité, pour les citoyens, d'interpeller les responsables de la chose publique et la nécessité, pour ces derniers, de s'expliquer et de rendre compte. Dont acte.
Pour aider le lecteur à comprendre de quoi il s'agit, M. Mohamed Attahri reproche au CMI d'imposer aux entrepreneurs un carcan bureaucratique incompatible avec les nécessités du lancement d'une jeune entreprise. M. Aichaoui répond que les fonds mis par les pouvoirs publics à la disposition par le CMI ne sont pas destinés à financer la jeune entreprise (ou la start-up pour faire moderne) mais un projet bien déterminé d'innovation. Dès lors M. Aichaoui suggère que le CMI est fondé à vérifier que les fonds prêtés sont bel et bien employés au financement des composantes du projet selon les spécifications approuvées.
Si les entrepreneurs ont raison de se plaindre de l'incapacité du CMI à les accompagner, voire lui reprochent de les mettre en difficulté, et si le directeur général a raison de rappeler la vocation et les règles de fonctionnement de l'organisme qu'il dirige, le problème est systémique et la solution doit être cherchée ailleurs.
Le problème, à mon avis, est que le CMI tel qu'il a été conçu n'est pas adapté à l'accompagnement des start-ups. Contrairement à une grande entreprise où il est plus facile de distinguer l'entreprise d'un projet particulier, une start-up se confond, par construction, avec un projet d'innovation. Vouloir distinguer les deux pour soutenir le projet et non pas l'entreprise est absurde. Quand on finance un projet d'innovation, on finance de facto la start-up. Exiger que l'entreprise exécute le projet, tel que prévu dans le cahier des charges, c'est lui interdire d'adapter son modèle économique et son organisation, à l'épreuve du marché.
L'examen du bilan d'activité du CMI confirme l'existence d'un problème sérieux dans le système marocain de soutien à l'innovation. Les statistiques disponibles sur le site du CMI (http://www.cmi.net.ma/Donnees_Statistiques.html) montrent que, depuis sa création, l'organisme a retenu autour de 35 dossiers sur 175 candidatures (21,1%) au titre du programme INTILAK, réservé aux entreprises de moins de deux ans, et autour de 12 dossiers sur 67 (17,9%) au titre du programme TATWIR, réservé aux entreprises de plus de deux ans.
Ces chiffres sont très inquiétants et doivent induire une remise à plat, urgente, de la politique de soutien à l'innovation. Ramené à l'échelle d'un pays de 33 millions d'habitants, le nombre de dossiers soumis par de jeunes entreprisses au CMI depuis sa création, soit 242 dossiers, est juste insignifiant!
En faisant l'hypothèse que chaque dossier INTILAK correspond au plafond d'intervention du CMI, soit 1 MDH (90% de 1MDH), et que chaque dossier TATWIR correspond au plafond de 2 MDH (50% d'un maximum de 4MDH), on obtient une enveloppe maximale de soutien de l'ordre de 59 MDH. Quel pays peut prétendre à rejoindre le club des nations développées avec moins de 10 million d'euros d'investissement dans l'innovation? Si l'on considère que l'effort du pays doit se situer autour de 3% de son PIB, le Maroc devrait investir autour de 25 milliards DH dans l'innovation. Vu le caractère insignifiant des quelques dizaines de millions de dirhams consentis, il nous faut admettre que le Maroc n'a pas de politique d'investissement dans l'innovation. Je sais bien que le CMI ne représente qu'une partie de l'investissement total du pays dans l'innovation. Il doit bien y avoir quelques dizaines de millions de dirhams dans d'autres comptes publics ou privés mais ceci ne change pas le constat global. Même avec un deux milliards de DH, on serait encore très loin du niveau d'investissement, 3% du PIB, que les leaders européens, réunis à Lisbonne en 2010, ont jugé nécessaire pour développer une économie de la connaissance (http://www.central2013.eu/fileadmin/user_upload/Downloads/Tools_Resources/Lisbon_MEMO-06-23_EN_1_.pdf).
Plus grave, encore, le taux de sélectivité du CMI, autour de 20%, est absurde dans un pays où la jeune entreprise innovante est un phénomène extrêmement rare. On ne devrait pas rejeter 80% des demandes de soutien des rares entrepreneurs qui se présentent au guichet du CMI. On devrait, au contraire, encourager 80%, si ce n'est la totalité.
A partir de ce constat, une première conclusion s'impose. Si les responsables du pays veulent promouvoir l'innovation, il faudrait mobiliser beaucoup plus de moyens dans les secteurs public et privé. A la question de savoir que faire du CMI, deux réponses sont possibles. La première, qui me semblerait plus raisonnable et moins coûteuse, serait de suivre jusqu'au bout le modèle français qui a inspiré, apparemment, la conception du CMI et lui permettre un accompagnement différencié des entreprises naissantes et des entreprises établies. Pour les entreprises en émergence, les procédures doivent être légères. Les délais de décision et de mise à disposition de fonds doivent être rapides. Le taux de rejet doit être faible pour encourager tout le monde et l'allocation des fonds doit être souple. A titre d'exemple, un de mes étudiants créateur d'une entreprise innovante a obtenu, très rapidement et très facilement, 300.000 euros d'avances remboursables auprès de la BPI (Banque Publique d'Investissement) qui intervient, aussi, dans des dossiers représentant des dizaines de millions d'euros.
La deuxième solution serait d'orienter davantage le CMI vers le financement de projets innovants menés par des entreprises établies et créer un autre organisme plus adapté aux besoins et rythmes des entreprises en émergence. Cet organisme devrait avoir une plus grande réactivité dans la prise de décision et dans la mise à disposition des fonds. Ses collaborateurs devraient comprendre les entrepreneurs et leur faire confiance. Le contrôle du bon usage des fonds devrait être fait à posteriori. Les pouvoirs publics devraient accepter le fait qu'il y aurait un peu de fraude et, surtout, pas mal d'argent bien dépensé mais en perte. Pour que l'Etat devienne un acteur moteur de l'écosystème entrepreneurial, il doit apprendre à faire confiance aux acteurs et à prendre des risques.
Pour récolter de l'entrepreneuriat innovant, la seule chose que l'on sait est qu'il faut arroser généreusement les quelques germes plantés par les entrepreneurs et espérer qu'il en sortira de beaux arbres et des fruits abondants.

La succession de Miloud Chaabi: partager le groupe entre ses enfants ne serait pas une bonne idée

"Ayant bâti sa fortune à la force du poignet, Miloud Chaabi, voyant sa santé décliner et les querelles se multiplier entre ses fils, a préféré prendre les devants. Décision sage d’un homme au grand cœur". Ainsi se termine un article du site "Le360.ma"(1) où il est question de partitionner le groupe Chaabi entre les enfants de l'entrepreneur.
J'aurais préféré lire "Ayant bâti sa fortune à la force du poignet et désireux de pérenniser son groupe, Miloud Chaabi a mis en place un schéma de propriété et de gouvernance destiné à le protéger des querelles de famille".
Avant de développer mon point de vue sur la préparation de la succession de Miloud Chaabi, je dois au lecteur de préciser que je ne connais pas l'homme et ne suis pas plus informé sur ses affaires. Je dois également reconnaître que je suis inspiré par un article de presse dont le contenu n'est pas forcément certain. Aussi, j'utiliserai le conditionnel et serais disposé à retirer mon propos s'il était mal fondé.
Si j'ai choisi de m'exprimer sur la base d'élèments incertains, c'est parce qu'il y a urgence et que je suis convaincu que le fractionnement du groupe Chaabi risque d'avoir des conséquences néfastes sur ses composantes et de constituer un mauvais exemple pour l'économie nationale. J'espère qu'il n'est pas trop tard pour envisager un autre scénario.
Au fil des décennies, Miloud Chaabi a bâti un groupe de taille respectable, à l'échelle nationale et africaine. Partager le groupe entre sa progéniture signifierait la disparition du groupe en tant que tel et sa réduction à une collection de PME. Hormi les enfants de M. Chaabi qui pourraient avoir l'impression de gagner, à court terme, qui d'autre gagnerait à une telle fragmentation?
L'économie nationale ne gagnerait pas à voir fondre un champion national qui a activement contribué au développement du pays et qui participe à la présence économique du Maroc sur le continent africain. L'économie marocaine a besoin, au contraire, d'une cohorte de champions nationaux capables de tenir le choc de la concurrence mondiale.
La succession du fondateur est toujours un moment de vérité pour la pérennité de l'oeuvre d'un entrepreneur. Les entrepreneurs qui ont le souci de perpétuer leur oeuvre ne cèdent pas à la facilité de la paix familiale. Au contraire, ils cherchent les moyens juridiques et organisationnels de minimiser les interférences négatives de la famille avec les nécessités de pérennisation et de dévelopement du 'business'.
Au delà de son propre cas, la manière dont Miloud Chaabi organise sa succession risque de constituer un exemple pour d'autres entrepreneurs marocains ayant eu des parcours similaires. Parce que son groupe occupe une place importante dans le pays, Miloud Chaabi ne doit pas perdre de vue la dimension nationale de sa création et devrait avoir le courage de la protéger de sa famille biologique.
L'économie marocaine aura accédé à un niveau supérieur de maturité lorsqu'elle sera composée d'un bon nombre d'entreprises familiales de grande taille qui auront survécu à leur fondateur et continué à prospérer. Certains groupes familiaux continueront à être dirigés par des membres de la famille. D'autres seront confiés à des dirigeants professionnels sous contrôle familial.
La recherche sur les entreprises familiales a mis en évidence deux cas de figure. Dans le premier, l'entreprise est subordonnée aux intérêts de la famille. Dans l'autre, la famille est subordonnée aux intérêts de l'entreprise. J'aimerais croire qu'il est encore possible à M. Chaabi de changer d'avis et de choisir le deuxième scénario. J'espère que ses enfants comprendront, aussi, qu'il va de leur intérêt patrimonial, à long terme, de posséder une partie d'un groupe conquérant au lieu de se retrouver à la tête d'une PME, aussi grosse et rentable soit-elle...aujourd'hui.
Pour conclure, je souhaite longue vie et formule mes voeux de santé à M. Chaabi. La discussion sur l'avenir de son groupe ne doit pas nous faire oublier que l'homme est toujours parmi nous, pour de longues années encore. C'est tout le mal que je peux lui souhaiter.

1) (http://www.le360.ma/fr/economie/miloud-chaabi-repartit-sa-fortune-entre-ses-enfants-24839)

dimanche 17 février 2013

Sout Africa Needs a New Breed of Transgressive Leaders


committed to its common good

Hamid Bouchikhi
Professor of management and entrepreneurship
ESSEC Business School, FRANCE



I am a North African scholar who grew up hearing negative comment about South Africa almost every day, for years, and who rejoiced when the country embarked on an unprecedented experiment.
I have visited South Africa three times, talked to many fellow South Africans and read a good deal of media coverage and ANC policy documents. My research on the role of transgressive leadership in times of deep crisis and the insights gained from readings and conversations about South Africa lead me to contend that the country, and the ANC in particular, need a new breed of ethically strong leaders willing to and capable of transgressing foundational myths to better serve the common good of the country and of Africa.
Reading the official document prepared by the ANC for the 4th National Policy Conference in June 2012 enlightened the malaise I sense in discussions with South African friends and colleagues across the rainbow. I am worried for the future of South Africa if the leaders of the democratically elected majority continue to subscribe to myths that prevent, or worse exempt, them from embracing the real strengths of South Africa and addressing the real challenges facing the “beloved country”.
The policy document abounds with scary ideas and language. Claiming that “the transition in the current South African context refers to a single and ongoing transition from Apartheid colonialism to a National Democratic Society” strikes me as utterly simplistic.  It is not hard, even for someone like me who has spent little time in South Africa, to enumerate a series of other far reaching, and equally challenging, transitions unfolding at the national and the international levels.
It is shocking to read that “The Commission also noted that the South African population is constituted by 52% women, 74% youth and children below the age of 35, and 79.5% Africans”. What does this mean about the other 20.5%?  Why does the ANC leadership feel a need to suggest so openly that they are not African?
Similarly, I cannot understand why the authors of the policy platform wrote “The Commission also expressed concern about the current individualism paradigm permeating society as well as the domination of English as a medium of communication”. Why should individualism and English coexist in the same sentence? Isn’t individualism intrinsic to life in a free society? Why should the wide diffusion of English be a problem for South Africa? How would the translation of “all pieces of legislation and public policies…into all official and indigenous languages” enable equitable development of and in South Africa? Personally, I would see the so called ‘domination’ as a strong asset in an increasingly global village where English it is the common medium of communication. This does not mean that other languages, including Afrikaans, should be forgotten but I am not able to see the value of treating more than ten languages as official. I am writing this from the perspective of someone who had to pay a high price for learning French and then English to communicate with and work in the world. South African leaders should feel blessed that their fellow citizens are comfortable with Shakespeare’s language.
The “Land Reform Policy Discussion Document” also released in June 2012 compounded my anxieties.  It is full of tortured language about the ‘need’ to redistribute land and, at the same time, preserving South Africa’s remarkable agricultural output. The meandering language suggests that the ANC leadership is stuck in another foundational myth which has to be ditched urgently for the sake of the common good of South Africa. Committing a new injustice in the name of repairing a historical one does not make good policy. Twentieth century history shows us that government driven land redistribution was always fatal to productivity.
South Africa needs leaders who are proud of all South Africans, regardless of where their ancestors came from. The country needs leaders who can heal the wounds of the past instead of exacerbating them. The ANC needs transgressive leaders who have the will and strength to update the party’s software.
If recent North African history can be of any help, there is a lot that can be learned from Algeria where a liberation movement became a huge liability, where the majority is struggling to make ends meet in a country endowed with huge natural resources, where food is imported instead of being exported when the country was under French rule, where “arabization” has produced a generation of poorly educated people who precipitated Algeria in a civil war in the name of a narrow understanding of what Arabic civilization and Islam mean.
It is time that all South Africans look for leaders who have the guts to do the unthinkable. What a better gift could they make to Frederick de Klerk and Nelson Mandela as we approach the twentieth anniversary of the courageous gesture they made for the common good of all South Africans.